
Le refus d’huissier ad hoc constitue une situation juridique complexe qui soulève de nombreuses questions tant sur le plan procédural que sur celui du respect des droits fondamentaux. Cette problématique, souvent méconnue du grand public, représente pourtant un enjeu majeur dans l’administration de la justice. Lorsqu’un huissier de justice désigné ad hoc refuse sa mission, c’est tout l’édifice procédural qui peut s’en trouver fragilisé. Cette réalité juridique mérite d’être analysée en profondeur, car elle se situe au carrefour du droit processuel, de la déontologie professionnelle et des garanties fondamentales accordées aux justiciables. Notre analyse portera sur les fondements juridiques, les conséquences pratiques et les voies de recours possibles face à cette situation particulière.
Les Fondements Juridiques de la Désignation d’un Huissier Ad Hoc
La désignation d’un huissier ad hoc s’inscrit dans un cadre légal précis, défini principalement par le Code de procédure civile et les textes régissant la profession d’huissier de justice. Cette nomination intervient dans des circonstances spécifiques où l’huissier territorialement compétent ne peut instrumenter, soit en raison d’un empêchement légitime, soit pour cause de récusation ou d’une situation de conflit d’intérêts.
L’article 649 du Code de procédure civile prévoit que lorsqu’un acte ne peut être signifié par l’huissier territorialement compétent, le juge peut désigner un autre huissier pour accomplir cette mission. Cette désignation revêt un caractère exceptionnel et répond à la nécessité d’assurer la continuité du service public de la justice, principe à valeur constitutionnelle reconnu par le Conseil constitutionnel.
La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 14 mai 2009, a précisé que cette désignation doit être motivée par des circonstances objectives rendant impossible l’intervention de l’huissier normalement compétent. Elle ne saurait être motivée par de simples considérations de convenance ou d’opportunité.
Le statut juridique de l’huissier ad hoc est particulier : bien que désigné pour une mission spécifique, il conserve toutes les prérogatives et obligations inhérentes à sa fonction. L’Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice précise que ces professionnels sont des officiers ministériels qui ont seuls qualité pour signifier les actes et exploits, faire les notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n’a pas été précisé et ramener à exécution les décisions de justice.
Dans ce cadre, le refus de mission par un huissier ad hoc pose question au regard de plusieurs principes fondamentaux :
- Le principe du contradictoire et du droit à un procès équitable
- L’obligation de loyauté procédurale
- Le droit d’accès au juge consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme
La jurisprudence a progressivement défini les contours de cette problématique. Dans un arrêt du 12 janvier 2017, la Cour de cassation a rappelé que l’huissier désigné ad hoc ne peut refuser sa mission que pour des motifs légitimes, sous peine d’engager sa responsabilité professionnelle. Ces motifs légitimes sont strictement encadrés et concernent principalement les cas d’impossibilité matérielle, de conflit d’intérêts ou d’atteinte à l’indépendance professionnelle.
Il convient de souligner que le Code de déontologie des huissiers de justice, adopté par le décret n° 2012-366 du 17 mars 2012, impose à ces professionnels un devoir de diligence et de loyauté dans l’accomplissement de leurs missions. L’article 15 de ce code précise que l’huissier ne peut refuser son ministère que pour des raisons légitimes.
Les Motifs Légitimes de Refus et Leurs Limites
Le cadre juridique reconnaît à l’huissier de justice, même désigné ad hoc, la possibilité de refuser d’instrumenter dans certaines circonstances précises. Ces motifs légitimes s’articulent autour de plusieurs axes qui méritent d’être analysés en détail.
Premièrement, l’impossibilité matérielle constitue un motif recevable. Un huissier peut légitimement refuser une mission s’il se trouve dans l’incapacité physique ou technique de l’accomplir. Cette situation peut survenir en cas de maladie grave, d’accident, ou lorsque les moyens matériels nécessaires font défaut. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 23 septembre 2014, a validé le refus d’un huissier ad hoc qui ne disposait pas des ressources humaines suffisantes pour accomplir une mission particulièrement volumineuse dans les délais impartis.
Deuxièmement, le conflit d’intérêts représente un motif incontestable de refus. L’article 2 du Code de déontologie impose à l’huissier d’exercer ses fonctions avec indépendance et impartialité. Ainsi, lorsqu’un huissier entretient des liens personnels ou professionnels avec l’une des parties au litige, son refus est non seulement légitime mais obligatoire pour préserver l’intégrité de la procédure. Dans un arrêt du 7 mars 2018, la Cour de cassation a confirmé la validité du refus opposé par un huissier qui avait précédemment représenté les intérêts adverses de la partie requérante dans une autre procédure.
Troisièmement, l’atteinte à la déontologie professionnelle peut justifier un refus. Si la mission confiée implique des actes contraires aux principes éthiques de la profession, l’huissier est en droit de refuser. La Chambre nationale des huissiers de justice a précisé, dans une directive du 15 avril 2016, que tout acte susceptible de porter atteinte à la dignité de la profession ou à l’honneur de ses membres peut légitimement être refusé.
Toutefois, ces motifs légitimes connaissent des limites strictes. La jurisprudence s’est montrée particulièrement vigilante face aux refus qui pourraient masquer d’autres motivations. Ainsi :
- Le simple désaccord sur le bien-fondé de la procédure engagée ne constitue pas un motif valable de refus
- Les considérations personnelles ou idéologiques sont écartées
- La charge de travail ordinaire ne justifie pas un refus, sauf circonstances exceptionnelles
La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 9 juillet 2015, a clairement établi que « l’huissier de justice ne peut refuser son ministère que pour des causes légitimes, et non en raison de ses appréciations personnelles sur le bien-fondé des prétentions des parties ». Cette décision fondamentale pose les jalons d’une interprétation restrictive des motifs de refus.
Il est à noter que le Règlement national des huissiers de justice prévoit une procédure spécifique en cas de refus : l’huissier doit motiver sa décision par écrit et la communiquer sans délai au requérant ainsi qu’à la Chambre départementale des huissiers. Cette formalisation du refus permet un contrôle a posteriori de sa légitimité et ouvre la voie à d’éventuels recours.
La jurisprudence récente témoigne d’une tendance à l’encadrement strict des refus. Dans un arrêt du 21 novembre 2019, la Cour d’appel de Lyon a sanctionné un huissier ad hoc qui avait refusé d’instrumenter en invoquant un désaccord sur l’interprétation juridique du titre exécutoire, considérant qu’il s’agissait d’une substitution illégitime à l’appréciation du juge.
Les Conséquences Procédurales du Refus d’Huissier Ad Hoc
Le refus d’un huissier ad hoc d’exécuter sa mission engendre une cascade de conséquences procédurales qui peuvent sérieusement compromettre l’effectivité des droits des justiciables. Ces répercussions se manifestent à différents niveaux de la procédure judiciaire.
En premier lieu, ce refus peut entraîner une rupture dans la chaîne procédurale, particulièrement préjudiciable en matière de signification d’actes. Lorsqu’un acte introductif d’instance ou une décision de justice ne peut être signifié dans les délais impartis en raison d’un refus d’huissier, les conséquences peuvent être dramatiques : forclusion, prescription, caducité de l’assignation… La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 décembre 2020, a rappelé que les délais de recours ne commencent à courir qu’à compter de la signification régulière de la décision, soulignant ainsi l’importance cruciale de cette étape procédurale.
En matière d’exécution forcée, le refus d’un huissier ad hoc peut paralyser totalement la mise en œuvre d’un titre exécutoire. Cette situation est particulièrement problématique lorsque l’huissier territorialement compétent est lui-même empêché, créant ainsi une impasse procédurale. Le juge de l’exécution peut être saisi pour résoudre cette difficulté, mais cette démarche supplémentaire rallonge les délais et augmente les coûts pour le créancier.
Impacts sur les délais procéduraux
Les effets du refus sur les délais de procédure méritent une attention particulière. Le Code de procédure civile prévoit, dans certains cas, des mécanismes de suspension ou d’interruption des délais, mais leur application aux situations de refus d’huissier ad hoc reste soumise à l’appréciation judiciaire. La jurisprudence tend à considérer que le refus illégitime d’un huissier constitue un cas de force majeure susceptible de justifier une prorogation des délais, mais cette qualification n’est pas systématique.
Dans un arrêt remarqué du 3 mars 2021, la Cour d’appel de Versailles a jugé que « le refus non justifié d’un huissier de justice d’accomplir sa mission, lorsqu’il est établi, peut constituer un obstacle insurmontable à l’exercice d’un droit et justifier, à ce titre, la recevabilité d’un acte accompli hors délai ». Cette décision illustre la tendance des juridictions à protéger les justiciables contre les conséquences d’un refus abusif.
Sur le plan de la validité des actes accomplis ultérieurement, la question se pose de savoir si la procédure entachée par un refus d’huissier ad hoc peut être régularisée. Selon l’article 114 du Code de procédure civile, la nullité des actes de procédure peut être couverte par la régularisation ultérieure, sauf si cette régularisation intervient après l’expiration d’un délai préfix. La jurisprudence applique ce principe avec souplesse lorsque l’irrégularité résulte d’un fait extérieur à la volonté de la partie concernée.
- La substitution d’huissier après un refus doit être organisée rapidement
- La preuve du refus doit être conservée pour justifier d’éventuels retards
- Une nouvelle désignation judiciaire peut s’avérer nécessaire
Dans le cadre des procédures d’urgence, comme le référé ou les procédures à jour fixe, le refus d’un huissier ad hoc peut compromettre l’efficacité même de la voie procédurale choisie. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 octobre 2018, a admis que dans ces circonstances particulières, le président du tribunal pouvait autoriser exceptionnellement la notification par voie électronique, dérogeant ainsi aux règles habituelles de signification.
Enfin, il convient de souligner que les conséquences procédurales du refus peuvent varier selon la nature de l’acte concerné. Si la jurisprudence se montre particulièrement protectrice lorsqu’il s’agit d’actes ouvrant des voies de recours, elle peut être plus stricte s’agissant d’actes d’exécution dont la mise en œuvre répond à des règles spécifiques. Cette distinction reflète le souci d’équilibrer le droit au recours effectif et la sécurité juridique.
La Responsabilité Juridique de l’Huissier en Cas de Refus Injustifié
Le refus non justifié d’un huissier ad hoc d’accomplir sa mission peut engager sa responsabilité sur différents plans : disciplinaire, civile et, dans certains cas exceptionnels, pénale. Cette triple dimension de la responsabilité reflète l’importance accordée par notre système juridique à l’effectivité de l’exécution des décisions de justice.
Sur le plan disciplinaire, l’huissier de justice qui refuse indûment d’accomplir une mission confiée par justice s’expose à des sanctions prononcées par les instances ordinales. L’article 2 de l’Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des officiers ministériels prévoit une gamme de sanctions allant du rappel à l’ordre à la destitution. La Chambre nationale des huissiers de justice a précisé, dans une directive du 12 janvier 2018, que « le refus injustifié d’instrumenter constitue un manquement grave aux obligations déontologiques de l’huissier de justice ».
La procédure disciplinaire peut être initiée par le procureur de la République, le président de la chambre départementale ou par toute personne ayant qualité et intérêt à agir. La jurisprudence disciplinaire témoigne d’une sévérité particulière à l’égard des refus motivés par des considérations étrangères aux motifs légitimes reconnus par la loi. Ainsi, la Cour d’appel de Rennes, dans une décision du 7 juin 2019, a confirmé la suspension pour six mois d’un huissier qui avait refusé d’exécuter une mission ad hoc sans justification valable.
La responsabilité civile professionnelle
Sur le plan de la responsabilité civile, l’huissier qui refuse indûment sa mission peut être condamné à réparer le préjudice causé au justiciable. Cette responsabilité est fondée sur l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382) qui pose le principe général selon lequel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Pour engager cette responsabilité, trois éléments doivent être réunis :
- Une faute caractérisée par le refus non justifié
- Un préjudice subi par le requérant
- Un lien de causalité entre ce refus et le préjudice allégué
La jurisprudence reconnaît différents types de préjudices indemnisables : perte d’une chance de voir aboutir une procédure, frais supplémentaires engagés pour pallier le refus, préjudice moral résultant de l’angoisse et de l’incertitude… Dans un arrêt du 14 novembre 2017, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’un huissier qui avait refusé d’exécuter un jugement d’expulsion sans motif légitime, entraînant pour le propriétaire une perte de loyers pendant plusieurs mois supplémentaires.
Il est à noter que la responsabilité civile professionnelle de l’huissier est couverte par une assurance obligatoire, conformément à l’article 10 du décret n° 56-222 du 29 février 1956. Toutefois, en cas de faute intentionnelle ou dolosive, l’assureur peut exercer un recours contre l’huissier après avoir indemnisé la victime.
Dans des cas exceptionnels, le refus d’huissier peut revêtir une qualification pénale, notamment lorsqu’il s’apparente à un déni de justice. L’article 434-7-1 du Code pénal sanctionne « le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis ». Bien que rarement appliqué aux huissiers de justice, ce texte pourrait théoriquement trouver à s’appliquer dans des situations particulièrement graves où le refus manifesterait une volonté délibérée de faire obstacle à l’exécution de la justice.
La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de se prononcer sur la responsabilité des États dans l’exécution effective des décisions de justice. Dans l’arrêt Hornsby c/ Grèce du 19 mars 1997, elle a considéré que le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État permettait qu’une décision judiciaire définitive reste inopérante. Cette jurisprudence renforce indirectement la responsabilité des huissiers de justice, en tant qu’acteurs essentiels de l’effectivité des décisions judiciaires.
Stratégies et Recours Face au Refus d’Huissier Ad Hoc
Face à un refus d’huissier ad hoc, le justiciable n’est pas démuni et dispose de plusieurs voies d’action pour faire valoir ses droits. Une stratégie efficace implique la mise en œuvre d’une démarche méthodique et graduée, alliant pragmatisme et rigueur juridique.
La première étape consiste à formaliser le refus. Il est fondamental d’obtenir une trace écrite du refus opposé par l’huissier, idéalement avec l’exposé des motifs invoqués. Cette formalisation peut prendre la forme d’une lettre recommandée adressée à l’huissier, le mettant en demeure d’accomplir sa mission ou de justifier son refus par écrit. Ce document constituera une pièce maîtresse dans toute procédure ultérieure. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 11 février 2020, a souligné l’importance de cette étape préalable pour caractériser la faute de l’huissier.
Dans un second temps, il est possible de saisir le président de la Chambre départementale des huissiers de justice. Cette autorité ordinale dispose d’un pouvoir de médiation et peut rappeler à l’huissier récalcitrant ses obligations professionnelles. L’article 6 de l’Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 confère au président de la Chambre un rôle de prévention et de conciliation des différends entre huissiers et clients. Cette démarche, bien que non contraignante, permet souvent de résoudre la situation sans recourir aux voies judiciaires plus formelles.
Les recours judiciaires
Si ces démarches préalables s’avèrent infructueuses, plusieurs recours judiciaires s’offrent au justiciable :
- La saisine du juge qui a désigné l’huissier ad hoc
- Le recours au juge de l’exécution en cas de difficulté d’exécution d’un titre
- L’action en responsabilité civile contre l’huissier défaillant
- La procédure disciplinaire devant la chambre de discipline
La saisine du juge ayant procédé à la désignation initiale est particulièrement efficace. Ce magistrat peut constater la carence et désigner immédiatement un nouvel huissier ad hoc. La jurisprudence reconnaît largement ce pouvoir de substitution, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 septembre 2018, qui affirme que « le juge ayant procédé à la désignation d’un huissier ad hoc conserve la faculté de pourvoir à son remplacement en cas de refus non justifié d’accomplir la mission confiée ».
Le recours au juge de l’exécution, prévu par l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, est particulièrement adapté lorsque le refus concerne l’exécution d’un titre exécutoire. Ce magistrat spécialisé dispose de larges pouvoirs pour trancher les difficultés relatives aux titres exécutoires et aux mesures d’exécution forcée.
Dans certaines situations d’urgence absolue, la saisine du juge des référés peut s’avérer nécessaire. Sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile, ce magistrat peut ordonner toutes mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. La jurisprudence admet que l’entrave à l’exécution d’une décision de justice peut caractériser un trouble manifestement illicite justifiant l’intervention du juge des référés.
En parallèle de ces actions, il peut être judicieux d’engager une procédure en responsabilité civile contre l’huissier défaillant. Cette action, fondée sur l’article 1240 du Code civil, vise à obtenir réparation du préjudice subi du fait du refus injustifié. La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 janvier 2019, a précisé que cette action est indépendante des autres recours et peut être exercée simultanément.
Enfin, la mise en œuvre d’une protection assurantielle ne doit pas être négligée. De nombreux contrats d’assurance protection juridique couvrent les frais liés aux difficultés d’exécution des décisions de justice, y compris ceux résultant d’un refus d’huissier. La mobilisation de cette garantie peut considérablement alléger le coût financier des démarches entreprises.
Il est à noter que la jurisprudence récente tend à faciliter l’indemnisation des victimes d’un refus injustifié. Dans un arrêt remarqué du 17 juin 2021, la Cour d’appel de Montpellier a considéré que le préjudice moral résultant de l’angoisse et du sentiment d’impuissance face à l’inexécution d’une décision de justice devait être indemnisé indépendamment du préjudice matériel éventuellement subi.
Vers une Réforme du Statut de l’Huissier Ad Hoc : Perspectives d’Évolution
Le cadre juridique actuel entourant la désignation et les missions de l’huissier ad hoc présente des insuffisances qui appellent à une réflexion approfondie sur son évolution. Les problématiques récurrentes liées aux refus d’instrumenter ont mis en lumière la nécessité d’une réforme structurelle de ce statut particulier.
Les travaux préparatoires de la Commission de modernisation de l’action publique, initiés en 2019, ont identifié plusieurs axes d’amélioration. Le rapport Perben sur l’avenir des professions juridiques réglementées, remis au garde des Sceaux en juillet 2020, consacre un chapitre entier à la question des huissiers ad hoc et préconise une clarification de leur statut.
Une des pistes envisagées consiste en la création d’un corps spécialisé d’huissiers ad hoc au sein de chaque ressort de cour d’appel. Ces professionnels, spécifiquement formés et rémunérés pour ces missions particulières, interviendraient exclusivement dans les situations nécessitant la désignation d’un huissier ad hoc. Cette solution présenterait l’avantage de professionnaliser cette fonction et de réduire significativement les risques de refus.
Vers un encadrement légal renforcé
Un autre axe de réforme concerne le renforcement du cadre légal entourant le refus d’instrumenter. Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, présenté en 2021, contient des dispositions visant à préciser les motifs légitimes de refus et à instaurer une procédure accélérée de remplacement en cas de carence. L’article 27 de ce projet prévoit notamment que « tout refus d’instrumenter doit être motivé et notifié sans délai au requérant ainsi qu’au magistrat ayant procédé à la désignation ».
La numérisation des procédures pourrait constituer une réponse partielle à la problématique du refus d’huissier ad hoc. La dématérialisation des actes de procédure, déjà engagée avec le développement de la plateforme e-Justice, pourrait être étendue à certaines significations actuellement réservées aux huissiers. La Cour de cassation, dans un avis du 5 mai 2021, a d’ailleurs ouvert la voie à une interprétation plus souple des règles de signification en reconnaissant la validité de certaines notifications électroniques dans des circonstances exceptionnelles.
Les instances européennes exercent une influence croissante sur cette évolution. Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) de 2020 souligne l’importance d’une exécution effective des décisions judiciaires et recommande aux États membres de mettre en place des mécanismes garantissant cette effectivité. Ces recommandations pourraient accélérer la réforme du statut de l’huissier ad hoc en droit français.
- La formation continue obligatoire sur les missions ad hoc
- Un système de répartition équitable des désignations
- La création d’un fonds de garantie pour indemniser les victimes de refus injustifiés
Les organisations professionnelles d’huissiers de justice participent activement à cette réflexion. La Chambre nationale des commissaires de justice, qui regroupe depuis 2022 les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, a formulé plusieurs propositions visant à moderniser le statut de l’huissier ad hoc tout en préservant l’indépendance de la profession.
La jurisprudence joue également un rôle moteur dans cette évolution. Par une série d’arrêts rendus entre 2018 et 2021, la Cour de cassation a progressivement affiné sa doctrine en matière de refus d’huissier ad hoc, contribuant ainsi à sécuriser le cadre juridique en attendant une réforme législative d’ensemble.
Enfin, la dimension économique ne doit pas être négligée. Le tarif réglementé des huissiers de justice, fixé par le décret n° 2016-230 du 26 février 2016, ne prévoit pas de majoration spécifique pour les missions ad hoc, ce qui peut expliquer certaines réticences. Une révision de ce tarif, intégrant une rémunération adaptée à la spécificité de ces missions, pourrait constituer un levier efficace pour réduire les refus d’ordre économique.
Ces perspectives d’évolution témoignent d’une prise de conscience collective de l’importance du rôle de l’huissier ad hoc dans le bon fonctionnement de la justice. La réforme attendue devra trouver un équilibre entre le respect des droits des justiciables, l’indépendance de la profession d’huissier et les impératifs d’efficacité du service public de la justice.