Violations des ordonnances de protection : enjeux juridiques et conséquences pénales

Face à l’augmentation des violences intrafamiliales, les ordonnances de protection constituent un dispositif juridique fondamental pour assurer la sécurité des victimes. Pourtant, leur non-respect demeure un phénomène préoccupant. En France, une ordonnance de protection violée représente non seulement un échec du système de protection, mais constitue également une infraction pénale spécifique. Cette problématique se situe à l’intersection du droit civil, qui encadre l’émission de ces ordonnances, et du droit pénal, qui sanctionne leur violation. Les magistrats, forces de l’ordre et associations spécialisées font face à des défis considérables pour garantir l’effectivité de ces mesures et protéger les personnes vulnérables.

Cadre juridique des ordonnances de protection en droit français

Le dispositif d’ordonnance de protection a été instauré par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Codifié aux articles 515-9 à 515-13 du Code civil, ce mécanisme juridique vise à protéger les victimes de violences conjugales ou familiales en leur offrant une protection rapide, sans nécessité d’avoir préalablement déposé une plainte pénale.

L’ordonnance de protection peut être délivrée par le juge aux affaires familiales (JAF) lorsqu’il existe des « raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ». Cette formulation, issue de la loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019, a simplifié les conditions d’obtention en supprimant la référence à la notion de « violences vraisemblables » qui créait une ambiguïté juridique.

Procédure d’obtention d’une ordonnance de protection

La demande d’ordonnance de protection s’effectue par requête déposée au greffe du tribunal judiciaire. Le juge doit statuer dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience, conformément à l’article 515-11 du Code civil modifié par la loi du 30 juillet 2020. Cette célérité procédurale constitue une avancée majeure pour garantir une protection rapide des victimes.

Les mesures pouvant être ordonnées par le juge sont diverses et adaptables à chaque situation :

  • Interdiction pour le défendeur d’entrer en contact avec la victime
  • Interdiction de se rendre dans certains lieux fréquentés par la victime
  • Attribution du logement familial à la victime
  • Décision sur l’exercice de l’autorité parentale
  • Autorisation pour la victime de dissimuler son adresse
  • Admission provisoire à l’aide juridictionnelle
  • Interdiction pour le défendeur de détenir ou porter une arme

La durée de ces mesures a été portée à six mois par la loi du 28 décembre 2019, avec possibilité de prolongation en cas de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps. Cette extension temporelle renforce l’efficacité du dispositif en offrant à la victime un temps suffisant pour engager des démarches judiciaires complémentaires.

Le décret n°2020-636 du 27 mai 2020 a précisé les modalités d’application de l’ordonnance de protection, notamment concernant la notification aux parties et la transmission aux services de police et de gendarmerie. Cette transmission est fondamentale pour permettre aux forces de l’ordre d’intervenir efficacement en cas de violation.

Qualification pénale du non-respect d’une ordonnance de protection

La violation d’une ordonnance de protection constitue une infraction pénale spécifique, prévue et réprimée par l’article 227-4-2 du Code pénal. Cet article, créé par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 et renforcé par les législations ultérieures, punit le fait de ne pas se conformer à une ou plusieurs obligations ou interdictions imposées par une ordonnance de protection.

Initialement sanctionnée de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, la peine a été portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende par la loi du 28 décembre 2019. Cette aggravation des sanctions témoigne de la volonté du législateur de renforcer l’effectivité des ordonnances de protection et de dissuader les auteurs de violences de les enfreindre.

Éléments constitutifs de l’infraction

Pour caractériser l’infraction de violation d’ordonnance de protection, plusieurs éléments doivent être réunis :

L’élément légal est constitué par l’existence d’une ordonnance de protection en cours de validité, régulièrement notifiée au défendeur. La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 4 janvier 2017 (pourvoi n°16-80.455) que l’ordonnance doit avoir été signifiée à la personne concernée pour que sa violation puisse être pénalement sanctionnée.

L’élément matériel consiste en la violation d’une ou plusieurs obligations ou interdictions imposées par l’ordonnance. Cette violation peut prendre diverses formes : contacts avec la victime (appels téléphoniques, messages, présence physique), intrusion dans le domicile attribué à la victime, non-respect des modalités d’exercice de l’autorité parentale, etc.

Concernant l’élément moral, l’infraction est intentionnelle et suppose que l’auteur ait eu connaissance de l’ordonnance et des obligations qu’elle lui imposait. Un arrêt de la Chambre criminelle du 6 décembre 2016 (pourvoi n°16-82.418) a confirmé que la méconnaissance alléguée du contenu exact de l’ordonnance ne peut constituer une cause d’exonération de responsabilité dès lors que l’ordonnance a été régulièrement notifiée.

La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette infraction. Ainsi, la Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 3 mai 2018, a considéré que des messages ambigus envoyés à des proches de la victime dans le but qu’ils lui soient transmis constituent une violation indirecte de l’interdiction de contact. De même, la Cour d’appel de Rennes, dans une décision du 14 septembre 2017, a retenu la qualification pénale pour un prévenu qui s’était présenté à proximité immédiate du domicile de la victime sans y pénétrer, mais en violation manifeste de l’interdiction de paraître dans ce secteur.

Procédures d’urgence et réponse pénale face aux violations

La violation d’une ordonnance de protection nécessite une réaction rapide et efficace des autorités judiciaires et policières. Le procureur de la République dispose de plusieurs outils procéduraux pour apporter une réponse pénale adaptée à la gravité de la situation et au risque encouru par la victime.

Signalement et constatation des violations

Lorsqu’une victime constate la violation d’une ordonnance de protection, elle peut se rendre directement dans un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie pour déposer plainte. La circulaire du 28 janvier 2020 relative à la présentation des dispositions de droit pénal de la loi du 28 décembre 2019 préconise un traitement prioritaire de ces plaintes par les services enquêteurs.

Les forces de l’ordre disposent depuis 2020 d’un fichier spécifique, le Fichier des Personnes sous Ordonnance de Protection (FPOP), qui leur permet de vérifier immédiatement l’existence et le contenu d’une ordonnance. Ce dispositif, mis en place par le décret n°2020-148 du 21 février 2020, facilite l’intervention rapide des policiers et gendarmes en cas de violation signalée.

La preuve de la violation peut être constituée par divers éléments :

  • Témoignages directs de la victime ou de tiers
  • Enregistrements d’appels téléphoniques
  • Conservation de messages (SMS, courriels, réseaux sociaux)
  • Images de vidéosurveillance
  • Constats d’huissier
  • Géolocalisation du bracelet anti-rapprochement

La loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 a renforcé le dispositif probatoire en permettant aux victimes d’utiliser le bracelet anti-rapprochement (BAR). Ce dispositif électronique déclenche une alerte lorsque l’auteur des violences s’approche de la victime au-delà d’une distance prédéfinie par le juge, facilitant ainsi la constatation objective des violations d’interdiction de contact ou de paraître.

Traitement judiciaire des violations

Face à une violation d’ordonnance de protection, le parquet dispose de plusieurs options procédurales :

La comparution immédiate est souvent privilégiée en raison de la gravité de l’infraction et du danger potentiel pour la victime. Cette procédure, prévue par les articles 393 à 397-7 du Code de procédure pénale, permet de juger rapidement l’auteur des faits, généralement dans les 48 heures suivant son interpellation.

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) peut être envisagée lorsque les faits sont reconnus par le mis en cause et que la violation n’a pas mis directement en danger la victime. Toutefois, la circulaire du 28 janvier 2020 recommande de réserver cette procédure aux cas les moins graves.

Dans les situations présentant un risque immédiat pour la sécurité de la victime, le procureur peut requérir le placement en détention provisoire du mis en cause dans l’attente de son jugement. Cette mesure, particulièrement contraignante, est justifiée par la nécessité de prévenir le renouvellement de l’infraction et d’assurer la protection effective de la victime.

En complément des poursuites pénales, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention peut ordonner un contrôle judiciaire assorti d’obligations spécifiques, comme l’interdiction d’entrer en contact avec la victime ou l’obligation de pointer régulièrement au commissariat. La violation de ces obligations peut entraîner un placement en détention provisoire, conformément à l’article 141-4 du Code de procédure pénale.

Dispositifs techniques et mesures de surveillance

L’efficacité des ordonnances de protection repose en grande partie sur les moyens mis en œuvre pour contrôler leur respect. Le développement de dispositifs techniques de surveillance représente une avancée considérable dans la prévention et la constatation des violations.

Le bracelet anti-rapprochement (BAR)

Inspiré d’expériences étrangères, notamment espagnoles, le bracelet anti-rapprochement a été introduit dans le droit français par la loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 et mis en œuvre par le décret n°2020-1161 du 23 septembre 2020. Ce dispositif se compose de deux éléments : un bracelet électronique porté par l’auteur des violences et un boîtier de téléprotection remis à la victime.

Le fonctionnement du BAR repose sur un système de géolocalisation qui déclenche une alerte lorsque l’auteur pénètre dans une zone d’alerte prédéfinie (généralement entre 1 et 10 kilomètres autour de la victime). Une pré-alerte est d’abord envoyée à l’auteur pour l’avertir qu’il s’approche de la zone interdite. Si celui-ci poursuit son chemin, une alerte de niveau 2 est transmise à un téléopérateur qui contacte immédiatement l’auteur pour lui rappeler ses obligations. En cas de persistance, une alerte de niveau 3 est déclenchée, entraînant l’intervention des forces de l’ordre et l’information simultanée de la victime.

Le BAR peut être ordonné dans deux cadres distincts :

  • En matière civile, par le juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance de protection (article 515-11-1 du Code civil)
  • En matière pénale, par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ou par la juridiction de jugement comme peine complémentaire (article 132-45-1 du Code pénal)

Selon les données du Ministère de la Justice, plus de 1 000 bracelets anti-rapprochement avaient été déployés en France à la fin de l’année 2022, contribuant à une baisse significative du taux de récidive pour les porteurs de ce dispositif.

Téléphone grave danger (TGD)

Complémentaire au bracelet anti-rapprochement, le téléphone grave danger constitue un autre dispositif technique majeur dans la protection des victimes. Généralisé par la loi n°2014-873 du 4 août 2014 et inscrit à l’article 41-3-1 du Code de procédure pénale, ce téléphone portable spécifique est attribué par le procureur de la République aux victimes de violences conjugales ou de viol particulièrement exposées à un risque de récidive.

Le TGD permet à la victime, par simple pression sur une touche dédiée, d’alerter un service de téléassistance disponible 24h/24 qui évalue immédiatement la situation et peut, si nécessaire, faire intervenir les forces de l’ordre en priorité grâce à une géolocalisation du téléphone. Ce dispositif n’est pas automatiquement lié à une ordonnance de protection, mais constitue souvent un complément à celle-ci dans les situations à haut risque.

La circulaire du 31 juillet 2020 relative à la présentation des dispositions de la loi du 30 juillet 2020 a encouragé les parquets à développer le recours au TGD et à faciliter son attribution. Ainsi, plus de 3 000 téléphones étaient déployés sur le territoire national fin 2022, selon les chiffres du Ministère de la Justice.

Ces dispositifs techniques sont complétés par d’autres mesures de surveillance, comme les contrôles inopinés par les services de police ou de gendarmerie au domicile des victimes ou les rappels réguliers aux auteurs de violences des obligations qui leur incombent. La plateforme de géolocalisation des victimes de violences conjugales, mise en place par le décret n°2021-1820 du 24 décembre 2021, permet désormais de coordonner l’ensemble de ces dispositifs et d’optimiser l’intervention des forces de l’ordre.

Impact psychologique et social des violations sur les victimes

Au-delà des aspects purement juridiques, la violation d’une ordonnance de protection engendre des conséquences psychologiques et sociales considérables pour les victimes. Ces répercussions doivent être prises en compte dans l’appréhension globale du phénomène et dans la construction des réponses institutionnelles.

Traumatisme psychologique et sentiment d’insécurité

La violation d’une ordonnance de protection constitue une nouvelle violence pour la victime, souvent perçue comme particulièrement traumatisante car elle survient malgré l’intervention de la justice. Selon une étude menée par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences (MIPROF) en 2021, 78% des victimes ayant subi une violation d’ordonnance déclarent ressentir un sentiment d’insécurité permanent, même après l’interpellation de l’auteur.

Ce traumatisme se manifeste par divers symptômes psychologiques :

  • Troubles anxieux et état de vigilance permanente
  • Troubles du sommeil et cauchemars récurrents
  • Flashbacks et reviviscences traumatiques
  • Sentiment d’impuissance et perte de confiance dans les institutions
  • Dépression et idées suicidaires dans les cas les plus graves

Les travaux de la psychiatre Muriel Salmona, spécialiste du psychotraumatisme lié aux violences, ont mis en évidence que la violation d’une mesure de protection active ce qu’elle nomme la « mémoire traumatique », réactivant l’ensemble des traumatismes antérieurs et amplifiant considérablement la souffrance psychique de la victime.

La prise en charge psychologique des victimes constitue donc un enjeu majeur. Le Centre National d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CNIDFF) recommande un accompagnement spécifique pour ces situations, intégrant une approche psychotraumatologique adaptée et un suivi dans la durée.

Conséquences sociales et économiques

Les violations d’ordonnances de protection ont également des répercussions sociales et économiques significatives pour les victimes. Confrontées à un danger renouvelé, celles-ci sont souvent contraintes de modifier radicalement leur mode de vie :

La mobilité résidentielle forcée constitue l’une des conséquences les plus fréquentes. Selon une enquête de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) publiée en 2022, 62% des femmes ayant subi une violation d’ordonnance ont dû déménager pour se mettre en sécurité, parfois à plusieurs reprises. Ces déménagements précipités entraînent des coûts financiers importants et une déstabilisation sociale (perte de réseau de proximité, changement d’école pour les enfants, éloignement familial).

Sur le plan professionnel, les conséquences sont également lourdes. La Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) a observé que 41% des victimes de violations d’ordonnances ont connu une dégradation de leur situation professionnelle (absentéisme, perte d’emploi, réduction du temps de travail) dans les six mois suivant l’incident. Cette précarisation économique renforce la vulnérabilité des victimes et peut compromettre leur capacité à maintenir leur indépendance vis-à-vis de l’auteur des violences.

Le rapport parlementaire Geoffroy-Bousquet de 2020 sur l’évaluation de la loi du 28 décembre 2019 a souligné l’importance de développer des dispositifs d’accompagnement social global pour les victimes de violations d’ordonnances. Parmi les mesures préconisées figurent l’accès prioritaire au logement social, le maintien temporaire des droits sociaux en cas de déménagement précipité, et la mise en place d’un fonds d’urgence pour couvrir les frais immédiats liés à la mise en sécurité.

Ces dispositifs d’accompagnement restent toutefois inégalement développés sur le territoire national. Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a pointé dans son rapport annuel 2022 la nécessité d’harmoniser les pratiques et de renforcer les moyens alloués aux structures d’hébergement d’urgence et aux associations d’aide aux victimes.

Vers une protection renforcée : évolutions et perspectives

Le dispositif juridique encadrant les ordonnances de protection et sanctionnant leurs violations connaît une évolution constante, témoignant d’une prise de conscience progressive des pouvoirs publics. Plusieurs pistes d’amélioration se dessinent pour renforcer l’effectivité de ces mesures et mieux protéger les victimes.

Renforcement du cadre législatif

La loi n°2023-140 du 28 février 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des ordonnances de protection constitue l’avancée législative la plus récente en la matière. Elle introduit notamment deux innovations majeures :

La possibilité pour le juge aux affaires familiales de prononcer une ordonnance de protection en urgence, sans audience contradictoire préalable, lorsqu’un danger imminent est caractérisé. Cette procédure d’urgence, inspirée du référé d’heure à heure, permet une protection immédiate de la victime, l’audience contradictoire étant reportée à une date ultérieure, dans un délai maximum de 14 jours.

L’instauration d’une présomption de danger en cas de violences antérieures établies, simplifiant ainsi la charge de la preuve pour la victime. Cette innovation répond aux critiques formulées par les associations qui dénonçaient la difficulté pour les victimes de démontrer le danger auquel elles étaient exposées.

D’autres évolutions législatives sont actuellement en discussion, notamment :

  • L’extension de la durée maximale des ordonnances de protection à un an, contre six mois actuellement
  • L’élargissement du champ d’application des ordonnances aux violences intrafamiliales hors contexte conjugal
  • L’aggravation des peines encourues en cas de violation réitérée
  • La création d’une circonstance aggravante lorsque la violation est commise en présence d’enfants mineurs

Le Grenelle des violences conjugales de 2019 a joué un rôle catalyseur dans ces évolutions législatives, en mettant en lumière les failles du système et en favorisant l’émergence de solutions innovantes. La commission d’évaluation mise en place à l’issue de ce Grenelle continue de formuler des recommandations pour améliorer l’articulation entre les différents dispositifs de protection.

Innovations procédurales et organisationnelles

Au-delà des évolutions législatives, des innovations procédurales et organisationnelles contribuent à renforcer l’effectivité des ordonnances de protection :

La juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales (JUVIFI), expérimentée depuis 2021 dans plusieurs tribunaux judiciaires (Rouen, Bobigny, Créteil), permet une approche intégrée des problématiques de violences conjugales. Ce modèle de juridiction unique traite à la fois les aspects civils (ordonnances de protection, divorce, autorité parentale) et pénaux (poursuites pour violences, harcèlement, violations d’ordonnances), garantissant ainsi une meilleure cohérence des décisions judiciaires et un suivi plus efficace des mesures prononcées.

Les filières d’urgence pour le traitement des violations d’ordonnances se développent dans de nombreux parquets. Ces protocoles spécifiques, comme celui mis en place par le Tribunal judiciaire de Pontoise en 2021, prévoient un circuit court de traitement des signalements avec une réponse pénale systématique et rapide.

La formation des professionnels constitue également un axe majeur de progrès. Le Conseil national de la magistrature a élaboré en 2022 un module de formation spécifique sur les ordonnances de protection à destination des magistrats. Parallèlement, l’École Nationale de la Magistrature (ENM) a renforcé les enseignements relatifs aux violences intrafamiliales dans son programme de formation initiale et continue.

La coopération entre les différents acteurs s’intensifie grâce à des outils innovants. Le système VISIOConf, expérimenté dans plusieurs départements depuis 2022, permet un partage sécurisé d’informations entre les services judiciaires, les forces de l’ordre et les associations d’aide aux victimes. Ce dispositif facilite le signalement rapide des violations d’ordonnances et améliore la réactivité des interventions.

Sur le plan international, la Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014, encourage les États à développer des mécanismes efficaces de protection des victimes de violences. Les recommandations du GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), publiées en 2019, ont souligné la nécessité pour la France de renforcer son dispositif de suivi des ordonnances de protection et de sanctions des violations.

Regards croisés : approche comparative et bonnes pratiques

L’analyse des dispositifs étrangers de protection des victimes de violences conjugales offre des perspectives enrichissantes pour améliorer le système français. Plusieurs modèles internationaux présentent des caractéristiques innovantes qui pourraient inspirer de futures évolutions législatives et organisationnelles en France.

Modèles européens de protection

L’Espagne fait figure de référence européenne en matière de lutte contre les violences conjugales depuis l’adoption de la loi organique 1/2004 sur les mesures de protection intégrale contre la violence de genre. Le système espagnol repose sur deux piliers fondamentaux :

Les tribunaux spécialisés dans les violences de genre (Juzgados de Violencia sobre la Mujer) disposent d’une compétence mixte, civile et pénale, leur permettant de traiter l’ensemble des aspects juridiques liés aux violences conjugales. Cette spécialisation favorise une meilleure compréhension des mécanismes de violences et une plus grande cohérence des décisions.

Le système VioGén constitue une base de données nationale qui centralise toutes les informations relatives aux situations de violences conjugales (plaintes, ordonnances de protection, évaluations de risque). Accessible aux forces de l’ordre, aux magistrats et aux travailleurs sociaux, cet outil permet un suivi en temps réel des mesures de protection et une détection précoce des risques de violation.

En Autriche, la loi sur la protection contre la violence (Gewaltschutzgesetz) de 1997, amendée à plusieurs reprises, a instauré un système d’intervention rapide en trois phases :

  • L’éviction immédiate de l’auteur des violences par la police pour une durée de deux semaines
  • La possibilité pour la victime de demander une ordonnance de protection judiciaire durant cette période
  • Un accompagnement systématique par des centres d’intervention (Interventionsstellen) qui contactent proactivement les victimes après l’intervention policière

Cette approche proactive, qui ne repose pas uniquement sur la démarche de la victime, a permis de réduire significativement le taux de violations des mesures de protection selon une évaluation du Ministère fédéral autrichien de l’Intérieur publiée en 2020.

Innovations nord-américaines

Aux États-Unis, malgré l’hétérogénéité des législations étatiques, certaines pratiques innovantes méritent d’être soulignées :

Le système VINE (Victim Information and Notification Everyday), déployé dans plus de 40 États, permet aux victimes d’être automatiquement informées de tout changement dans le statut de l’auteur des violences (libération, violation de mesures, comparutions judiciaires). Ce système d’alerte, accessible par téléphone ou internet, renforce le sentiment de sécurité des victimes et leur permet d’adapter leurs mesures de protection personnelle.

Les tribunaux spécialisés en violences domestiques (Domestic Violence Courts) développés notamment dans l’État de New York adoptent une approche holistique combinant sanctions judiciaires, suivi thérapeutique des auteurs et accompagnement global des victimes. Ces juridictions s’appuient sur une équipe pluridisciplinaire (magistrats, procureurs, travailleurs sociaux, psychologues) pour traiter l’ensemble des aspects de la situation.

Au Canada, la province du Québec a mis en place un dispositif original de supervision intensive des conjoints violents (SICV) qui associe :

Un suivi judiciaire renforcé avec comparutions régulières devant un juge unique

Un programme obligatoire de responsabilisation pour les auteurs de violences

Une coordination étroite entre les services correctionnels, les services de probation et les organismes d’aide aux victimes

Cette approche intégrée a permis de réduire de 50% le taux de récidive et de violation des ordonnances de protection selon une étude du Ministère de la Sécurité publique du Québec publiée en 2019.

Enseignements pour le modèle français

Ces expériences étrangères suggèrent plusieurs pistes d’amélioration pour le système français :

La création d’une juridiction unique compétente pour l’ensemble des aspects civils et pénaux des violences conjugales permettrait de dépasser le cloisonnement actuel entre juge aux affaires familiales et juridictions pénales. L’expérimentation des JUVIFI constitue un premier pas dans cette direction, mais pourrait être approfondie en s’inspirant du modèle espagnol.

Le développement d’un système d’information intégré, comparable au VioGén espagnol, faciliterait le partage d’informations entre les différents intervenants et améliorerait le suivi des ordonnances de protection. Le fichier des personnes sous ordonnance de protection et le système VISIOConf constituent des avancées notables, mais une plateforme plus complète et interactive renforcerait l’efficacité du dispositif.

L’adoption d’une approche proactive d’accompagnement des victimes, inspirée du modèle autrichien, pourrait réduire le non-recours aux dispositifs de protection. Les intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG) jouent déjà partiellement ce rôle, mais leur couverture territoriale reste incomplète.

Ces perspectives d’évolution s’inscrivent dans une dynamique internationale de renforcement des dispositifs de protection des victimes de violences conjugales, encouragée par des instances comme ONU Femmes ou le Conseil de l’Europe. La résolution 63/155 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’intensification de l’action menée pour éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes invite explicitement les États à « adopter et appliquer une législation efficace » et à « mettre en place des mécanismes de protection judiciaire et administrative appropriés ».

L’approche comparative révèle que l’efficacité des dispositifs de protection repose moins sur la sévérité des sanctions que sur la réactivité du système judiciaire, la coordination des acteurs et l’accompagnement global des victimes. C’est dans cette direction que semblent s’orienter les réformes actuelles du système français.